dimanche 23 novembre 2008

Paraguay - festival internacional del arpa - Acunsion

Le rendez-vous mondial de la harpe... 
En tout cas c’est comme cela que les organisateurs ici à Asunción aiment à présenter le festival qui a eu lieu pour la seconde édition cette année. 
En effet, la ville d’Asunción concoure auprès de l’Unesco au titre de « capitale mondiale de la harpe »…un titre qui est je trouve assez justifié tant j’ai vu d’engouement pour l’instrument ici. 
La harpe paraguayenne, importée il y a plusieurs siècles par les missionnaires jésuites, et adoptée depuis par les indiens guarani, est l’instrument le plus populaire du pays, et les gens d’ici s’enflamment en entendant les airs traditionnels les plus connus. 
L’instrument a des interprètes virtuoses : c’est une musique très ornée et qui demande un travail sans faille sur l’instrument. Beaucoup de rythmes ternaires, avec des effets de style complexes dans les mélodies et le son... 
J’ai admiré la virtuosité et la technique de tous les harpistes sud-américains. 




Pendant quatre jours les cérémonies et les concerts se sont succédés dans le grand théâtre de la capitale….
commémorations, célébrations, discours… (Ici on aime un tout petit peu trop les discours à mon goût…) il y a comme un petit parfum des années 50 dans le ton et le goût pour la commémoration...
Ainsi nous avons même reçu, en tant que harpistes étrangers, un titre de « citoyen illustre de la ville d’Asunción » lors d’une cérémonie spéciale!
Invitations, sorties, interviews télé et presse à n’en plus finir, les organisateurs nous ont véritablement choyés…

Nous étions une trentaines de musiciens, venus du monde entier, principalement d’Amérique du sud : Paraguay,Venezuela, Mexique, Colombie, Allemagne, France (Myrdhin était du voyage et un compagnon idéal pour passer ces quelques jours sous le signe de la harpe !) ou même Sénégal… 





J’ai joué au grand théâtre lors de la première soirée de gala et donné une masterclass le lendemain matin...
le reste de mon séjour a été agréablement rempli par les concerts, les visites et la découverte des musiques sud américaines…

Je voulais remercier tous les gens qui m’ont accueilli Ici, et en premier lieu Ismaël Ledesma qui a soufflé mon nom aux organisateurs lorsqu’ils cherchaient des harpistes celtes pour leur programme.
Egalement les organisatrices du festival : Ana Scapini, Marlene Sosa, Lourdes, les techniciens et ingénieurs du son du théâtre, l’hôtel Chaco, Benoist et Cécile Guevel de l’ambassade, Diana, Norma Ortega, Kadialy Kouyaté, l’Ambassade de France au Paraguay, Myrdhin ainsi que Ledy Lopez de Vega qui a été extraordinnaire !
j’oublie surement plein de monde et en relisant cette liste je me dis que le virus des « discours fleuve » des paraguayens m’a un peu contaminé ! 





Lors d’une visite au Museo del barro, le musée d’art et d’artisanat de la ville, j’ai réalisé que ce pays était constitué d’ethnies aux traditions et langages très variés…le guarani est la langue « officielle » avec l’espagnol, mais il existe une quantité impressionnantes de tribus dont les rites, la mythologie, la culture et l’histoire sont très variées.
Comment alors fonder une véritable identité nationale ? Un peu décontenancé par cette diversité, j’ai l’impression que le pays se pose encore la question et je me demande si la harpe paraguayenne ne serait pas un des éléments forts à retenir pour symboliser l’unité du pays ?

Ma musique a été très bien accueillie ici.
Je me suis ainsi posé la question de la confrontation entre ma musique, ma culture de la musique celtique, et la culture musicale de la harpe sud américaine…
nos instruments ne sont pourtant pas si éloignés (même formes, même nombre de cordes, musique diatonique…)
Les mélodies, le style orné, le choix systématique du ternaire, du mode majeur, et l’absence du chant, font que la musique paraguayenne est éloignée de la mienne car j’utilise la harpe pour chanter et j’aime infiniment le mode mineur.
Les harpistes d’ici ont développé un style incroyable avec beaucoup de technique, d’enjeu, de « bravoure »…c’est une musique « affirmative », qui ne laisse aucune place à l’hésitation…
Mais la vraie différence entre nos deux harpes, j’ai fini par la trouver : c’est la place différente que nous accordons au silence dans notre musique.
Dans la harpe paraguayenne, pas de place pour la respiration (ni pour le chant, bien qu’il existe aussi des chansons traditionnelles) …il s’agit d’occuper l’espace, de le remplir de guirlandes de notes qui tournent à l’infini.
dans la musique celtique, nous aimons laisser résonner les choses, entendre les silences pour entendre le monde alentour.
Notre musique se construit entre les silences, la leur, cherche à les remplir… Une différence de vison du monde ? Une cosmogonie différente ?

Que retenir de ce court séjour paraguayen ?

D’abord l’enthousiasme des gens autour de moi, coté organisateurs, mais aussi dans les cafés, les hôtels et dans la rue…
beaucoup de sourires et de liens prêts à se créer malgré la barrière de la langue…bien loin de nos peurs citadines et nos hésitations occidentales à communiquer avec l’autre.

Une fausse note vient toutefois ternir ma vision des choses et fait que malheureusement, je ne peux pas être totalement heureuse en marchant dans les rues : nous sommes dans un pays, ou, même dans la capitale, la plus grande pauvreté côtoie un luxe honteux.
Ainsi le palais présidentiel, blanc et majestueux, illuminé de mille feux, jouxte le plus grand bidonville d’Asunción… j’ai vu des enfants si jeunes mendier dans les rues, des garçons ou des jeunes filles trainer leur misère et proposer leurs services pour quelques pièces pour surveiller ou laver les voitures...vendeurs de fruits, vieilles femmes qui proposent des colliers dans la rue, jeune mère et son bébé dormant sur le trottoir. Et, tout à côté, le luxe des ambassades et des villas, les magasins, et nous autres étrangers avec nos dollars, qui gagnons et dépensons des sommes dérisoires pour nous…colossales pour eux.
Cela donne envie de croire que le nouveau gouvernement, élu depuis 100 jours, saura répondre à ce besoin énorme de justice sociale…
Quelques jours plus tard, en relisant ce journal, je me dis que nous avons-nous aussi une pauvreté criante qui s’affiche dans les rues de nos villes, et même une autre, qui ne s’affiche pas, et qui est peut être encore plus douloureuse, cachée aux yeux des badauds.
J’ai réalisé qu’il m’avait été plus facile de voir la misère chez les autres que d’admettre les inégalités dans mon propre pays…nos institutions prennent bien soin de ne pas laisser la très grande misère s’installer près d’elles, à leurs portes, alors nous sommes moins choqués par les inégalités…
Au moins le président paraguayen a-t-il chaque jour sous les yeux en se réveillant la mesure de ce qu’il doit accomplir pour aider son pays…
Je ne connais pas bien les enjeux, le pays a connu des années de dictature, mais j’espère de tout cœur que la machine va se mettre en marche…
j’espère que toutes les notes de musique jouées lors du festival monteront au ciel comme une petite prière en ce sens.

Je retiens enfin un moment très particulier que j’ai vécu un soir, très tard, sur le toit de l’hôtel. 





Il faisait si chaud que j’avais décidé de prendre un bain « de minuit » (en réalité il était plutôt 2h du matin…) dans la piscine, sur le toit de l’hôtel…Toute la ville vibrait autour de moi, je voyais les rues, les fêtes sur les toits des immeubles au loin, et la musique qui s’en échappait par vagues, l’air était chaud mais plein de vent, l’eau de la piscine parfaitement à la bonne température…
Et soudain j’ai ressenti que tout était « à sa place », comme si cet endroit était, à ce moment précis, subitement devenu le centre du monde. C’était un moment de perfection, comme je n’en avais jamais ressenti auparavant.
Quel étrange endroit que le Paraguay pour éprouver cette plénitude. Même plusieurs jours après, j’ai encore les sensations exactes de ce moment suspendu, perchée dans le ciel, au centre de l’Amérique du Sud…la grâce.